Dan Graham : temps/espace

Dan Graham, Present Continuous Past(s), 1974 :

Il s’agit d’une boîte pénétrable fermée de plan carré (environ 2, 60 m x 2, 60 m) où l’on entre par un couloir latéral. Des miroirs forment les parois à gauche de l’entrée et au fond. Sur la paroi à droite de l’entrée un écran-moniteur vidéo, surmonté d’une caméra, occupe le centre de la surface blanche. Enfin, la paroi adjacente au couloir d’entrée est vide, également blanche comme le plafond. Dan Graham décrit ainsi le dispositif et son fonctionnement : « Les miroirs reflètent le temps présent. La caméra vidéo enregistre ce qui se passe immédiatement devant elle et tout ce qui est reflété dans le mur-miroir opposé. L’image vue par la caméra (reflétant toute la pièce) apparaît huit secondes plus tard dans le moniteur vidéo. […] la caméra enregistre le reflet de la pièce et l’image reflétée du moniteur (qui montre l’instant enregistré huit secondes auparavant). Une personne regardant le moniteur voit sa propre image huit secondes avant et le reflet du moniteur dans le miroir encore huit secondes plus tôt, ce qui fait seize secondes dans le passé. […] Une infinie régression de continuums temporels à l’intérieur de continuums temporels (toujours séparés par des intervalles de 8 secondes) à l’intérieur de continuums temporels est ainsi créée¹. » [1. Dan Graham, Video-Architecture-Television, Halifax/New York, The Press of the Nova Scotia College of Art & Design / New York University Press, 1979, p. 7.]

Les textes de Dan Graham sur les relations entre arts plastiques, dispositif de projection cinématographique et architecture forment un dialogue constant avec l’essentiel de ses installations destinées à une « mise en abîme » des rapports entre espace social, « conscience intime du temps » (Husserl) ou « sentiment de la durée » (Bergson) du regardeur. Ses dispositifs sont une façon de remettre en cause ce qui pourrait encore y avoir de « spontanéisme » romantique dans la proposition maintes fois citée hors contexte de Marcel Duchamp selon laquelle « ce sont les regardeurs qui font le tableau ». Dan Graham, en revanche, met en scène la réflexivité inhérente à l’expérience moderne du geste artistique et de ses traces. Cette réflexivité implique une relation d’altérité dans un espace commun au « regardeur », à ce qui est donné à voir et à l’artiste lui-même. En effet, s’il n’est pas toujours physiquement présent, celui-ci n’en est du moins pas séparé comme l’auteur d’une totalité close sur elle-même selon le paradigme académique.

Le caractère intersubjectif des dispositifs de Dan Graham court-circuite l’esthétique de la réception et met en évidence le principe du transfert d’évidence dans les moyens inventés par l’art contemporain, tels le happening, la performance et l’installation. En l’occurrence, dans Present Continuous Past(s), véritable prototype des installations, des pavillons et d’un dispositif théorique tel que Cinema 81 (1982), il s’agit d’extérioriser les conditions de l’expérience subjective du temps dans ses « dimensions » multiples entre présent, passé et futur. Dan Graham entend faire éprouver au spectateur, à la fois, que l’intimité de l’expérience est irréductible et que celle-ci est pour autant universelle en ce qu’elle est une condition commune. L’expérience intime du temps est donc irreprésentable, mais elle est exposable dans un transfert d’évidence rendu possible par certaines conditions techniques, mises en œuvre par l’artiste grâce à un agencement architectural, lesquelles ne sont pas sans dévoiler par leur agencement quelque chose de la structure phénoménologique de l’expérience.

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