Une philosophie en soi n’existe pas. Karl Marx
La vérité en philosophie est anthropologique et politique, ou elle n’est pas. La fonction de la philosophie est toujours d’orienter les esprits vers la réalisation pratique de la justice par le moyen de la raison humaine réflexive et critique, la praxis comme condition et chemin de la vie bonne. Une philosophie non ou anti humaniste est contradictoire. Et surtout, qui prétend faire de la philosophie à l’écart des enjeux concrets de son temps par lesquels se pose à chaque fois la question de la justice, dans l’articulation nécessaire de la théorie et de la pratique, travaille en vain, se trompe et induit en erreur quiconque s’y fie. C’est là précisément réduire « la philosophie » à une fonction idéologique misérable et ce n’est plus de la philosophie. Car, même le ciel des Idées de Platon est politique ; il est fondamentalement indissociable d’une conception de la Cité et d’une conception de l’être humain et de la société, opposée à la démocratie athénienne : une anthropologie (La République). Toute philosophie est donc intrinsèquement liée à une conception du pouvoir (kratos, arkhè) et des relations qu’il convient d’entretenir avec ceux qui l’incarnent et l’exercent, tout autant qu’avec ses sujets.
Il est absolument vain de croire que la pensée pourrait ne pas se trouver située et sans conséquences, tout comme d’imaginer une humanité générique pré-symbolique sur laquelle la culture viendrait se poser comme un vêtement. Le pré-conscient, le subconscient ou l’inconscient sont des effets du développement de la conscience, et non la conscience leur superstructure. Faire de Descartes l’inventeur de l’esprit pur et désincarné est un contresens grossier et trop souvent de mauvaise foi : on oublie ses préoccupations pour l’explication des phénomènes physiques (Les Météores), le corps, la santé, sa pratique assidue de la dissection ; que c’est seulement « par provision » qu’il a laissé de côté les questions politiques et sociales… En effet, la philosophie est née du désir de penser par soi-même, à partir de l’expérience, et de fonder ainsi en raison toute affirmation sur le monde et la vie humaine. C’est pourquoi, toute investigation philosophique portant sur ses concepts les plus fondamentaux ne peut manquer de s’interroger sur la corrélation entre l’image rationnelle du monde et la conduite rationnelle des affaires humaines, c’est-à-dire sur leurs formes et leurs fonctions souhaitables. Tout le reste n’a de signification et de valeur que comme condition de possibilité de la connaissance pour l’émancipation commune. Le moment critique de toute pensée philosophique ne peut manquer de rencontrer la question du bien, mystérieusement liée au beau, et par conséquent de la justice, à laquelle celle de l’être devra se soumettre.
Le temps des femmes en philosophie appartient, il me semble, au présent et au futur : je ne suis guère marqué par Hannah Arendt, un peu plus par Simone Weil ou Edith Stein. Je n’ai pas encore lu Simone de Beauvoir et je n’en connais pas encore beaucoup d’autres dans le passé et le présent de la modernité ; sinon la géniale Angela Davis, pour moi à tout le moins l’égale de ses frères Aimé Césaire et Franz Fanon, et Judith Butler dont je commence seulement à comprendre l’envergure. D’autres femmes remarquables qui peuvent nous inspirer, y compris philosophiquement, comme Christine de Pizan, Marie de Gournay, Madeleine de Scudéry, Olympe de Gouge, Flora Tristan, Louise Michel, Rosa Luxembourg, Clara Zetkin, Alexandra Kollontai, Emma Goldman ou Voltairine de Cleyre, n’employaient pas les moyens de la philosophie.